Ce dimanche 25 août est la date anniversaire du discours prononcé le 25 août 1997 par Lionel Jospin lors de l’université de la communication d’Hourtin. C’est l’occasion de rendre hommage à l’inventeur d’Hourtin, l’ami Marcel Desvergne, qui nous a quitté ce 31 juillet. Il avait 83 ans.
Marcel était le fondateur de l’Université d’été de la communication d’Hourtin, événement qu’il avait créé en 1980 et dont il a été le délégué général jusqu’en 2002. Pour tous ceux qui ont fréquenté cette Université d’été, comme tous les événements créés par Marcel, le souvenir de cet homme lumineux, jovial, cultivé et toujours élégant, est évidemment fort, et la tristesse d’autant plus grande de le savoir disparu.
Marcel Desvergne était un visionnaire, un « citoyen numérique » avant les autres, un homme passionné et chaleureux, un ami. Longtemps avant internet il avait compris combien les technologies numériques, à commencer par l’informatique, allaient irréversiblement changer notre société.
C’était un instituteur et un homme de l’éducation au meilleur sens du mot. L’Université d’été était un rendez-vous conçu avec la Ligue de l’enseignement, et s’y croisaient notamment beaucoup des passionnés du numérique éducatif, comme on l’a appelé depuis, enseignants avec leurs classes, bidouilleurs informatiques, anciens du Plan Informatique pour Tous du début des années 80, nouveaux convertis à l’informatique, concepteurs de « cédéroms multimédias », responsables associatifs, etc.
Il avait un talent inné pour l’organisation et la communication, et son enthousiasme était contagieux. Difficile de lui dire non !
A partir de son université d’été, il avait créé d’autres événements, au point d’en faire un réseau international. C’est d’ailleurs à l’occasion de l’Université d’été de l’Océan indien, à La Réunion, fin mai 1997, en pleines élections législatives, que j’ai fait sa connaissance. Alors chargé de mission au Commissariat général du Plan, j’avais eu la chance d’être son invité pour présenter notre tout récent Rapport du Plan sur les réseaux de la société de l’information, le premier rapport au sein de l’Etat à plaider pour un virage vers internet, à un moment où la France prenait un retard préoccupant, coincée par le succès économique du Minitel et ses huit millions d’utilisateurs.
Associé à l’équipe de la campagne législative improvisée, due à la dissolution surprise -déjà- du Président Chirac, j’avais pu contribuer à distance, par fax ( !) à certains argumentaires sur des sujets épineux, comme l’ouverture annoncée du capital de France Télécom et la toute récente création du nouveau régulateur des télécoms, l’ART, devenue depuis l’ARCEP. C’est d’ailleurs à La Réunion, où ma carrière professionnelle m’a souvent conduit depuis, que j’ai rédigé la note programmatique sur « la société de l’information », base de notre future politique pour le numérique entre 1997 et 2002. Marcel Desvergne m’avait « percé à jour » à l’occasion d’une télécopie raturée, renvoyée « de Paris » et qui m’avait été apportée en plein débat sous une tente, et son amusement pour la situation n’avait eu d’égale que l’intensité de la discussion politique improvisée qui avait suivi.
Une fois la décision prise, mi-juillet 1997, d’un grand discours politique du nouveau Premier ministre sur la stratégie numérique que le nouveau gouvernement allait porter, le choix de l’Université de la communication allait dès lors de soi : j’avais été conquis par l’enthousiasme de Marcel Desvergne, Lionel Jospin gardait de son passage à l’Education nationale un attachement pour ce type de lieu et d’événement. Et puis le principal rassemblement annuel, pour nous, pionniers de l’internet français, qui était celui du chapitre français de l’Internet Society à la station de ski de fond d’Autrans, se trouvait dans un lieu encore beaucoup moins accessible qu’Hourtin, et ses dates n’étaient pas compatibles avec notre propre agenda !
Le 25 août 1997, il y a exactement 27 ans, Lionel Jospin prononçait donc à l’université d’été de la communication d’Hourtin son discours sur L’entrée de la France dans la société de l’information, dans lequel la stratégie française du virage vers l’internet était posée, et à partir duquel le Programme d’action gouvernemental pour la société de l’information fut lancé dans ses grandes lignes, avant son adoption au Comité interministériel pour la société de l’information de janvier 1998.
Sur le moment, le « Discours d’Hourtin », comme on l’a appelé depuis dans la communauté historique de l’internet français, provoqua un choc par le tournant radical qu’il annonçait., et parce qu’il était totalement inattendu. La campagne législative éclair provoquée par la dissolution surprise décidée par Jacques Chirac le 21 avril 1997 n’avait évidemment laissé aucune place pour parler du numérique et le choix du lieu, rendez-vous plutôt dédié aux médias et à la presse jusque là, pouvait laisser croire à une annonce sur l’audiovisuel.
Marcel Desvergne m’avait promis une forte présence des journalistes et un bel impact médiatique : son amusement comme son bonheur à voir une couverture nationale pour ce rassemblement dans un lieu aussi modeste, et même compliqué d’accès surtout pour « les parisiens », faisaient plaisir à voir. Le dossier de presse de l’événement, qui rend hommage à l’importance soudaine de l’université de la communication d’Hourtin, peut être consulté sur https://lnkd.in/eF2fU6fk
Après le 25 août 1997, Hourtin devint un véritable événement annuel, au point qu’il fallut parfois rendre des arbitrages à Matignon tant étaient nombreux les membres du gouvernement désireux de s’y rendre.
Marcel Desvergne accueillait tout le monde avec la même gentillesse, mais aussi avec une absence totale d’affectation, traitant chacun de la même
manière, peu sensible aux puissants, s’amusant des attroupements entre les tentes parfois précaires et les logements de camping. Mais il était capable
aussi de beaucoup d’émotion, comme lors d’une rencontre organisée à Hourtin entre Lionel Jospin et Marie-Claude Tjibaou, veuve du leader indépendantiste
assassiné quelques années auparavant, venue plaider pour le raccordement par un câble océanique de la Nouvelle-Calédonie au reste du monde.
Il ne manquait jamais d’idées et ses engagements étaient autant artistiques que gastronomiques. Toujours, il était un citoyen engagé et éclairé, et un homme sage.
Repose en paix, cher Marcel.